Face à la guerre, les sanctions et la dégradation de l’économie du pays, les investisseurs occidentaux organisent leur retrait de Russie.
Dans l’univers des investisseurs occidentaux le constat apparait comme une évidence : le marché russe ne va pas redémarrer ni demain ni dans quelques mois. La Russie est partie vers un déclin long et sauf changement majeur à la tête du pays. La dynamique va dans le sens de toujours plus de sanctions afin d’ébranler l’économie russe et réduire sa capacité à soutenir la guerre. Le mot d’ordre sur le marché est désormais « le retrait ». Les investisseurs occidentaux qui avaient d’abord annoncé la suspension de leurs activités en Russie, sont passés à l’étape suivante et organisent aujourd’hui leur départ.
Pour beaucoup, il s’agissait au début d’une mesure provisoire : stopper l’activité et mettre tout le personnel au chômage technique en espérant la fin rapide du conflit. C’était le cas des industriels comme Renault mais aussi de McDonalds, de Decathlon etc. Leur préoccupation était de maintenir un semblant de présence pour ne pas se faire exproprier la filiale locale par l’administration russe. Le prix à payer s’élevait au paiement des loyers et au le maintien des salaires de leurs équipes. Ce maintien légalement encadré s’élève à deux tiers des salaires hors primes. Ce qui représente pas mal d’argent pour une entreprise à l’arrêt, surtout lorsqu’elle employait beaucoup de main d’œuvre locale.
Pour McDonalds avec ses 62 000 salariés dans le pays, l’addition s’élevait à près de 50 millions de dollars par mois. L’entreprise a fini par vendre ses restaurants succursales à son ex-franchisé local qui n’a plus les droits d’exploitation de la marque. Ce dernier a créé une nouvelle enseigne de fastfood locale qui promet aussi d’introduire « des plats typiquement russes ». Du bortsch à la place du Coca ? L’installation de l’enseigne emblématique américaine à Moscou en 1990 a été un signe prémonitoire de la fin proche de l’URSS. Son départ est le signe d’une nouvelle époque qui ressemble davantage au passé antérieur.
McDo a été suivi par Coca Cola quelques jours plus tard. L’industriel a annoncé la fin de la production et des ventes en Russie pour toutes les marques du groupe : Fanta, Sprite, Powerade, Schweppes… ainsi que quelques marques locales d’eau minérale comme Bonaqua. Leur activité était déjà suspendue depuis le mois de mars, désormais il s’agit du retrait complet du marché. Le sort des dix usines sur place ainsi que des marques locales, n’est pas encore connu. Coca-Cola était présente en URSS et ensuite en Russie depuis 1979. Elle a survécu à la guerre en Afghanistan et à d’autres guerres engagées par le pays hôte. Mais ces événements n’atteignaient pas l’ampleur de la catastrophe actuelle.
Ikea dont les magasins ont été fermés depuis le mois de mars avec le maintien des salaires, vient d’annoncer la fin de son activité de détail en Russie. Les points de vente ne rouvriront pas, les quatre sites de production de la marque en Russie sont mis en vente. L’entreprise reste silencieuse sur le sort de ses quatorze centres commerciaux Mega, pour l’instant actifs. On peut supposer que la recherche d’un repreneur est en cours.
Des Français sur le départ
Les entreprises françaises sont aussi nombreuses à organiser le retrait. Thales qui a un temps été soupçonné d’arrangements avec le régime russe, vient d’annoncer son départ du pays. L’industriel français avait notamment fourni des systèmes thermiques de vision nocturne pour les tanks russes qui participent à la guerre en Ukraine. L’industriel se défend en expliquant que ces contrats ont été signés avant 2014 et ne tombaient sous aucun embargo. Le même fournit aussi l’équipement de cryptage servant à sécuriser les transactions pour un grand nombre de banques russes. Et notamment pour la Sberbank, la grande banque publique désormais frappée par les sanctions. L’industriel avait aussi une activité de fabrication de cartes bancaires pour le marché russe. Toutes ces activités sont désormais en cours de vente à une entreprise créée par ses cadres locaux.
Schneider Electric a choisi une démarche similaire pour quitter le pays. L’industriel français avait déjà arrêté toute livraison vers la Russie et la Biélorussie depuis le début de la guerre. L’entreprise va céder son activité à son équipe dirigeante russe, selon son annonce. Les actifs sur place comprennent notamment cinq sites de production. Le marché russe générait 2% du chiffre d’affaires global.
La Société Générale a mis fin à ses activités en Russie. Elle a cédé la Rosbank, sa filiale locale qui gère près de 5 millions de comptes de particuliers, au groupe russe Interros Capital de Vladimir Potanine. Le prix de vente de la Rosbank, 3,2 milliards d’euros, est de moitié inférieur à ce que la Société Générale avait payé pour acheter la banque à ce même Interros Capital quelques années auparavant.
Depuis l’attaque russe contre l’Ukraine, la banque française était victime des démarches hostiles de la part de l’administration russe. Celle-ci avait déclaré la banque Rosbank « banque non-résidente » du fait de la présence de l’établissement français dans le capital. Ce statut l’a privée des mécanismes réservés au secteur bancaire, la mettant en situation de paria. Dès lors le retirait devenait inévitable.
Sur le marché de la mode, la situation ne s’améliore pas. Les revenus des Russes continuent de baisser tant que leur pays concentre ses efforts sur la guerre. L’habillement est le premier segment des achats sur lequel les Russes comptent faire des économies dans ce contexte, il est cité par 70% des consommateurs dans une enquête de Nielsen. Les marques de mode qui jusque là annonçaient une suspension de leur activité, décident d’organiser leur départ.
La mode s’en va
Levi’s a décidé de quitter complètement le marché. Très populaire en Russie, la marque emblématique de jeannerie y était présente depuis près de 30 ans et gérait un peu moins d’une centaine de magasins, des succursales et des franchises. Elle a annoncé en mars la suspension de toute activité. Aujourd’hui elle a décidé de ne plus fournir le marché et recherche un acquéreur pour son réseau.
Mango a également décidé de fermer complètement son activité, en suspens depuis le mois de mars. La marque va revendre ses 55 magasins. La Russie était son cinquième marché à travers le monde.
Le détaillant polonais LLP vend ses magasins d’habillement sous les enseignes Reserved, Cropp etc à un « investisseur chinois » dont l’identité n’a pas été révélée. Celui-ci ne pourra pas exploiter les marques de LLP, il s’agit donc de l’ouverture d’une nouvelle enseigne.
L’Occitane ferme tous ses magasins et les ventes en ligne. Décision prise en réaction aux grandes souffrances humaines créées par l’escalade de l’invasion russe en Ukraine, selon la marque qui opérait 112 magasins et employait 700 salariés sur le marché. L’Occitane réalisait un chiffre d’affaires d’environ 60 millions d’euros dans le pays.
Les marques qui sont restées en mode de suspension provisoire, sont confrontées à quelques problèmes avec leurs partenaires locaux. H&M est poursuivie par l’opérateur du centre commercial Ostrov Mechti à Moscou qui lui réclame des loyers depuis la fermeture du magasin au début de la guerre. Un tribunal local vient de donner raison au promoteur : selon la propagande russe, la Russie n’est impliquée dans aucune guerre, donc le détaillant ne peut pas s’en prévaloir pour expliquer les volets baissés de ses points de vente. Ce n’est pas cet argument qui fera revenir les marques occidentales mais les administrations russes n’y sont plus sensibles, elles sont bien en guerre.
A Moscou et ailleurs, les fermetures des principales enseignes comme H&M ou celles d’Inditex, ont créé beaucoup de vide dans les centres commerciaux. Les acteurs locaux aimeraient en profiter mais ils sont habitués à des loyers plus bas. Les négociations promettent d’être compliquées.
Les importations parallèles encouragées
Pour pallier au départ de la quasi-totalité des marques occidentales, l’administration russe vient de légaliser les importations parallèles. Désormais les importateurs locaux peuvent faire venir les produits sans accord des marques détentrices des droits, et sans être enquêtés par les Douanes russes. Ces importations ne pourront pas être qualifiées de « parallèles » puisqu’elles viseront un pays que la marque a décidé d’exclure de ses ventes. Elle pourrait se retourner contre les intermédiaires. De l’avis des analystes, cette légalisation va surtout alimenter des circuits de contrefaçon.
Les annexes de la nouvelle loi énumèrent un certains nombre de marques qui sont exclues de son champ. Par exemple, pour les parfumes et les cosmétiques il y a plusieurs dizaines d’exceptions pour des marques comme Garnier, L’Oreal Paris, Vichy, Atelier Cologne, Biotherm, La Roche Posay etc. Les droits de ces marques semblent encore protégés, au moins tant que l’entreprise reste sur le marché russe.
Plus anecdotique, certaines marques et enseignes russes sont obligées de se retirer des pays occidentaux. Parmi ces entreprises touchées par les sanctions il y a aussi Go Sport… en Pologne. L’ex filiale du distributeur français a été cédée au distributeur spécialisé russe Sportmaster en 2019. Go Sport Polska compte aujourd’hui 27 magasins. Détenu par des oligarques russes et frappé par des sanctions en Pologne, Sportmaster a longuement négocié la cession du réseau polonais au britannique Sport Direct, désormais Frasers Group. Le régulateur antimonopole polonais avait donné son accord à la transaction. Mais aujourd’hui l’opération semble à l’arrêt et les magasins ferment les uns après les autres.
D’autres entreprises russes détenues par des proches et des fervents de Poutine, ont du fermer leur activité, notamment en Pologne : à l’instar de Faberlic, spécialiste des cosmétiques ou la marketplace de la mode Wildberries.
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