Renault-Nissan Avtovaz Russie : l’Alliance paye un prix élevé pour ses efforts de modernisation de la filiale russe, victime des décennies d’incurie et de corruption. Entre l’actionnaire occidental majoritaire et l’actionnaire publique russe, il y a de l’eau dans le gaz à tous les étages.
Renault-Nissan Avtovaz Russie, la filiale russe de l’Alliance Renault-Nissan est à nouveau soumise à l’épreuve de la crise. L’entreprise a annoncé des pertes de près de 1,2 milliard d’euros en 2015 pour un chiffre d’affaires de 2,6 milliards d’euros. Cette chute vertigineuse a provoqué mécaniquement des pertes de 620 millions d’euros dans les comptes de Renault-Nissan qui détient la moitié du capital de ce constructeur automobile. L’Etat russe contrôle un quart du capital à travers la holding publique Rosstech, le reste est sur le marché.
Renault-Nissan vient d’annoncer la nomination de Nicolas Maure au poste de PDG d’Avtovaz, à partir du 4 avril. Ce cadre est passé par Valeo et Faurecia avant d’arriver dans le groupe Renault où il dirigeait l’Automobile Dacia, la filiale industrielle du constructeur en Roumanie. Les véhicules fabriqués dans cette usine sont vendus en Europe sous la marque Dacia, mais ailleurs dans le monde ils portent le losange de Renault.
La nomination de Nicolas Maure signifie aussi le départ précipité de Bo Andersson du poste de PDG. Le parcours de ce cadre expatrié est emblématique des difficultés de cohabitation entre l’actionnaire occidental majoritaire et l’actionnaire historique russe. Passé par Saab et par le russe GAZ, recruté par Carlos Ghosn pour Avtovaz en 2014, Bo Andersson n’est pourtant pas responsable de la baisse de l’ensemble du marché automobile russe. Ses résultats ont assez bien collé à l’ensemble du marché. Le marché automobile russe a perdu 45,6% des ventes entre 2012 et 2015, Avtovaz a perdu 50% des ventes sur la même période. Un léger décalage est du au fait que la crise actuelle a frappé durement les classes moyennes basses, les principaux consommateurs des Lada, tout en épargnant les classes aisées qui achètent des marques occidentales.
Ex-leader du marché automobile russe avec plus de 40% des ventes au début des années 2000, Avtovaz n’était plus qu’à 22% en 2011. Avec 269 000 véhicules vendus en 2015 sur un marché qui totalisait 1,6 million d’unités, le constructeur russe ne détenait plus que 16,8% du marché national l’an dernier. Le développement des ventes des constructeurs occidentaux en Russie a privé l’entreprise de sa position dominante.
La direction dégraissée sans ménagement
Bo Andersson s’est efforcé à adapter les effectifs pléthoriques de l’entreprise aux nouvelles réalités du marché. De 77 000 salariés en 2014 Avtovaz est passé à 50 000 salariés au 4ème trimestre 2015, et enfin à 44 000 au 1er trimestre 2016. Sa politique visait surtout la réduction du nombre des cadres de direction, et des différents avantages accordés à ceux-là. Il a fait supprimer le parc des véhicules de luxe réservés à la direction : des Infinity, des Nissan Patrol… aucun cadre de direction d’Avtovaz ne roulait en Lada. L’ingérence du PDG dans les ressources humaines a irrité l’actionnaire public russe qui a l’habitude d’y placer ses protégés.
Dès les premiers jours chez Avtovaz, Bo Andersson a essayé d’y imposer une culture industrielle moderne. Parcourant les ateliers, il ramassait lui-même les déchets éparpillés le long de la chaine d’assemblage et les portait à la benne. Cela a déplu aux cadres russes qui l’accompagnaient et qui se sont sentis visés, non sans raison. Le PDG a aussi visité les toilettes pour hommes près de la chaine d’assemblage. C’était parait-il la première fois des 50 ans d’histoire d’Avtovaz que son dirigeant visitait les sanitaires des ouvriers. Il en est sorti en courant et en se bouchant le nez, avant d’ordonner le curage de tous les lieux d’aisance de l’usine. Cela aussi a déplu. Mais pour qui se prend ce Zorro ? Pour améliorer la qualité Bo Andersson a renforcé la discipline, il a notamment introduit des contrôles aléatoires d’alcoolémie dans les ateliers. Cela lui a valu une haine sincère de la part des ouvriers.
Les fournisseurs locaux mis en concurrence
Autre point de rupture, l’amélioration de la qualité des approvisionnements. Sur ordre de Bo Andersson les équipementiers locaux, fournisseurs historiques d’Avtovaz étaient promptement remerciés en cas de non-respect de la qualité et des délais, leurs maux chroniques. Et les nouveaux appels d’offres souvent remportés par des équipementiers internationaux qui ont installé leurs usines en Russie. « Andersson a choisi la voie de facilité en optant pour les équipementiers occidentaux. Il aurait du améliorer la qualité de ses relations avec nos fournisseurs nationaux », se plaint Serguei Chemezov, le parton de Rosstech, l’actionnaire public d’Avtovaz. La suggestion est limpide : la corruption de la direction russe par les fournisseurs locaux est endémique chez Avtovaz depuis plusieurs décennies. « Traditionnellement l’équipementier qui voulait fournir ses produits sur les chaines d’assemblage d’Avtovaz, devait passer par un circuit complexe de corruption à différents niveaux. Andersson a réussi à casser ce circuit », témoigne Alexander Kovriguine, expert du cabinet russe ASM Holding spécialisé sur l’industrie automobile. La perte d’un marché aux conditions avantageuses obtenues par la corruption s’avère souvent fatale pour les équipementiers locaux.
Dernier en date, le cas de l’équipementier AvtoVazAgregat, l’un des principaux fournisseurs d’Avtovaz par le passé mais écarté en 2015. Victor Kozlov et Pavel Tikhomirov, respectivement DG et DG adjoint d’AvtoVazAgregat viennent d’être traduits au pénal pour « malversations », « faillite frauduleuse » et d’autres exploits. Ils ont eu de la chance de se retrouver à l’abri en prison. Boris Selivanov, le DG précédent d’AvtoVazAgregat a été assassiné près de son bureau. La mort violente a toujours fait partie du quotidien des équipementiers de Togliatti, la ville d’Avtovaz. Et la mafia locale fait partie de l’équation économique dès qu’on parle du constructeur automobile, depuis la naissance de l’usine. L’actionnaire public du constructeur automobile a développé un pacte de non-agression avec le « milieu » au fil des décennies. En appliquant les méthodes de gestion d’entreprise à l’occidentale, Bo Andersson a marché sur les pieds de pas mal de monde à Togliatti et à Moscou.
La qualité a augmenté, les coûts aussi
Certaines réformes de Bo Andersson ont provoqué des dommages collatéraux. Sous la pression de ce PDG hyperactif, le nombre de défauts des voitures à la sortie des chaines d’assemblage d’Avtovaz a baissé de près de 40%. Une amélioration exceptionnelle selon les standards du monde industriel où l’on se bat pour des dixièmes de pour-cent. En faisant appel aux équipementiers occidentaux Andersson a augmenté la qualité des voitures Lada selon les souhaits de Renault-Nissan. Mais cette qualité a un coût et le prix de vente des véhicules a fait un bond. Adieu les anciennes Lada mal fagotées vendues pour moins de 3 000 d’euros, qui ont fait le succès populaire de la marque. Le modèle Lada Vesta lancé en 2015 coûte plus de 6 000 euros en version de base. L’équivalent du premier prix chez les constructeurs coréens. Le changement devient visible sur les parkings de l’usine, les Lada n’y sont plus omniprésentes. Le personnel des chaines d’assemblage, ces ouvriers avec des salaires peu élevés, considérés comme cœur de cible d’Avtovaz, préfèrent désormais acheter des Kia et des Hyundai qu’ils jugent plus performantes et de meilleure qualité que les Lada. Avtovaz se retrouve hors sol, concurrencé sur les prix par des compétiteurs situés plus haut que lui.
Les actionnaires s’empoignent déjà sur les orientations pour l’entreprise en cette période de crise. Carlos Ghosn a exprimé son point de vue dans une interview accordée à la presse russe, où il défend la politique sociale de Bo Andersson : « Sur un marché qui a chuté de 50%, espérer garder tout le personnel signifie la faillite ! On pouvait se le permettre quand le marché baissait de 5% seulement… Ce sera difficile de continuer si l’on ne s’adapte pas. Oui, il y aura des problèmes sur le plan social. Mais la situation en Russie est catastrophique. On ne peut pas prévoir quand elle se redressera. Quand le pétrole était à 100 dollars le baril, personne ne pouvait prévoir qu’il tomberait à 40 dollars deux ans plus tard. Aujourd’hui nous ne pouvons pas prévoir le redressement, nous devons nous adapter à la situation pour garder l’avantage concurrentiel ». Carlos Ghosn a laissé entendre que Nicolas Maure, successeur de Bo Andersson, aura pour mission de continuer le travail entamé par celui-ci, peut-être en arrondissant les angles.
Pas d’accord sur les orientations futures
Ce n’est pas l’orientation privilégiée par l’actionnaire public russe. Celui-ci aimerait que l’entreprise conserve son personnel même en temps de crise pour éviter les tensions sociales. La ville de Togliatti ne vit que pour et par l’usine Avtovaz et ses fournisseurs locaux. Aujourd’hui certains ateliers de l’usine sont périodiquement à l’arrêt pour éviter la surproduction sur fond de baisse des ventes. Leurs ouvriers sont envoyés travailler sur des chantiers d’aménagement urbain à Togliatti, au profit de la municipalité. Leur salaire est toujours versé par l’entreprise. Rosstech aimerait aussi que le nouveau PDG renoue les liens avec les équipementiers locaux écartés. Et il y a la question des pertes. Les années précédentes c’était l’actionnaire public qui effaçait l’ardoise, toujours avec cette volonté de préserver la paix sociale. Aujourd’hui l’Etat russe est à court d’argent, on laisse entendre à Moscou que ce serait à l’actionnaire principal de mettre la main au portefeuille. Renault-Nissan va-t-il financer la politique sociale des administrations russes, entre autres ? Les actionnaires se regardent en chiens de faïence.
Carlos Ghosn veut rester optimiste malgré le climat morose de Togliatti : « Avtovaz perd de l’argent, mais la moitié de cette perte est composée de la dépréciation des actifs suite à la dépréciation du rouble. Je crois au marché russe, nous travaillons ici avec un objectif calculé sur trente ans ! »
On a appris mi-avril que les deux dirigeants de la structure actionnaire, Carlos Ghosn et Serguei Chemezov ont quitté le Conseil d’administration d’Avtovaz. Ils y ont été remplacés par leurs adjoints respectifs. D’autres membres du Conseil d’administration ont aussi été remplacés. Comme s’il s’agissait d’injecter du sang neuf pour rechercher les sorties de la crise actuelle.