L’arrestation d’Alexei Navalny, leader de l’opposition en Russie, a mis en lumière le rôle ambigu joué par Yves Rocher dans ce dossier. Un rôle qui ne peut pas être résumé à une simple collaboration avec la police politique du Kremlin. Car les dirigeants de la filiale russe de la marque ont essayé de défendre les Navalny face à une accusation inventée de toutes pièces, sans y parvenir. Tandis qu’aujourd’hui la maison mère prend fait et cause pour le Kremlin. Et c’est l’opposant emprisonné qui attaque la marque bretonne devant un tribunal français. Yves Rocher s’embrouille dans des explications contradictoires et biaisées.
L’affaire commence en 2008. Oleg Navalny, homme d’affaires de son état et frère d’Alexei Navalny, le célèbre opposant, travaille dans le secteur de transport rapide de marchandises. Les ventes à distance se développent rapidement en Russie et la Poste russe n’est plus en mesure de suivre la dynamique, ses délais de livraison s’allongent atteignant plusieurs semaines. Par un concours de circonstances Oleg Navalny observe de grandes carences dans les livraisons des colis de produits Yves Rocher Vostok dans la région de Iaroslavl. Il propose à la filiale russe de la marque française de mettre un circuit indépendant de livraison à sa disposition. Yves Rocher y voit une opportunité intéressante et contracte les services de la société Glavpodpiska d’Oleg Navalny. Son frère Alexei Navalny, avocat de formation, est associé dans la boite et y apporte ses compétences juridiques. Pour réaliser la prestation, Glavpodpiska choisit des transporteurs sur le marché. L’affaire semble bien rouler durant quatre ans.
En 2012, patatras. Le FSB, la police politique du Kremlin qui s’échine à persécuter les opposants au régime, recherche les moyens de faire tomber Alexei Navalny. L’entreprise de son frère leur semble toute indiquée, et Yves Rocher Vostok devra jouer la victime. L’action est confiée au Comité d’enquête de la Fédération de Russie. Convocation des responsables de l’entreprise, perquisition au siège pour mettre la main sur les contrats. Plus tard Yves Rocher Vostok fera part dans un courrier de ces manœuvres d’intimidation qui, à l’époque, sont passées sous silence. Visiblement sous pression, Bruno Leproux, le DG de la filiale signe, le 4 décembre 2012, un courrier destiné au Comité d’enquête. D’une dizaine de lignes, ce courrier fait état d’une possible tromperie lors de la signature du contrat avec Glavpodpiska en 2008 qui aurait empêché Yves Rocher Vostok de choisir un autre prestataire pour bénéficier des prix plus bas. Il évoque aussi un préjudice potentiel et demande une enquête et la recherche des responsabilités.
Pourquoi Bruno Leproux a-t-il signé ce document livrant l’opposant russe à ses persécuteurs ? Lui-même n’a jamais souhaité s’expliquer là-dessus. Les analystes locaux sont persuadés que le DG a pu céder aux menaces du FSB visant la liberté de ses collaborateurs locaux ou bien ses approvisionnements qui pourraient être stoppés par les Douanes. Une technique bien rodée par les autorités russes quand il faut mettre au pas un entrepreneur récalcitrant. Mais il ne s’agit que de supputations. Peu de temps après le DG quittait Yves Rocher pour un long break, avant d’intégrer un poste de direction dans une autre entreprise du secteur des cosmétiques en Russie.
En recevant le courrier d’Yves Rocher Vostok, le Comité d’enquête ne laisse pas les choses trainer. Quelques jours plus tard, le commandant Alexeï Pichouline en charge de l’enquête, informe son supérieur le général Andreï Schukine à la tête du département des enquêtes : le courrier confirme les résultats de l’investigation, on tient les frères Navany. Dans un rapport détaillé rédigé dans la foulée, le commandant Pichouline expliquant sur quatre pages comment les Navalny ont ourdi leur projet criminel visant à s’emparer de l’argent de la marque française. Au menu : abus de confiance, fraude et escroquerie à grande échelle suivie de blanchiment d’argent détourné. S’appuyant sur les documents saisis lors de la perquisition, le commandant dévoile le mécanisme diabolique monté par les frères Navany. Entre 2008 et 2011, Glavpodpiska a réalisé des opérations logistiques pour le compte d’Yves Rocher Vostok en les facturant en tout 55 184 767 roubles (env 1 250 000 euros au taux de change de l’époque). Une somme « disproportionnée et trop importante » selon l’enquêteur. Pendant ce temps Glavpodpiska n’a payé que 31 598 570 roubles (env 720 000 euros) pour les services de transport contractés auprès d’un prestataire. La différence au profit de Glavpodpiska s’élève à 23 586 197 roubles soit 536 000 euros au taux de change de l’époque (dans les procédures ultérieures ce montant sera converti à 370 000 euros par la dépréciation du rouble au taux de change). Ce demi-million constitue « la surfacturation » et doit être considéré comme « le montant volé à Yves Rocher Vostok par le biais de la tromperie », s’étrangle l’enquêteur. Les notions du marché libre et de la marge commerciale sont étrangères à son raisonnement. Les frères Navalny sont coupables parce que leur entreprise a gagné de l’argent en offrant des services à une autre entreprise.
Yves Rocher Vostok contredit l’accusation russe
Les conclusions du commandant Pichouline seront vite contredites par… Yves Rocher. A l’honneur de Bruno Leproux, après avoir signé une lettre d’accusation contre Navalny, le DG d’Yves Rocher Vostok a aussi ordonné un audit interne pour vérifier les faits allégués par les policiers russes. Un mois plus tard Christian Melnik, directeur administratif et financier de la filiale livrait son rapport basé sur une comparaison des tarifs offerts par l’entreprise des Navalny aux tarifs proposés par d’autres prestataires logistiques sur le même marché. Etalés sur plus de 200 pages de documents, les chiffres sont éloquents : les tarifs de Glavpodpiska étaient de 15% et parfois jusqu’à 18% moins chers que les tarifs des concurrents. Conclusion de Christian Melnik : « Je constate l’absence de quelque préjudice ou quelque avantage manqué pour Yves Rocher Vostok du fait de sa coopération avec Glavpodpiska entre 2008 et 2012 ». Quatre semaines plus tard l’avocat de la filiale écrivait au Comité d’enquête : « Selon les résultats de l’audit, les prix pratiqués dans le contrat avec Glavpodiska correspondaient à la moyenne du marché », en constatant par la même occasion l’absence probable de préjudice pour l’entreprise. Le rapport intégral accompagnait ce courrier.
Le courrier était rédigé avec le conditionnel juridique d’usage. Mais il était clair sur le constat : pas de préjudice, cela signifie pas besoin d’enquête pour rechercher les responsables d’un préjudice qui n’existe pas. Ce n’est pas l’avis du Comité d’enquête. Le commandant Pichouline et ses supérieurs ont continué à ficeler « l’affaire Yves Rocher » pour le tribunal.
En automne 2014, le dossier Yves Rocher Russie passe devant le tribunal Zamoskvoretsky à Moscou. L’ambiance est électrique. Les enquêteurs voulaient présenter une palette de témoins à charge mais ils ont bâclé le travail. Quand la juge Elena Korobchenko demande au témoin « Quand et comment avez vous découvert le préjudice causé à votre entreprise par la société Glavpodpiska (des frères Navalny) ? », Serguei Shustov, directeur de la société MPK qui figure parmi les victimes présumées des Navalny reste dubitatif : « Nous n’avions aucune indication sur un quelconque désavantage causé par notre coopération avec leur société. C’est l’enquêteur de la police qui nous a convaincu que nous aurions du subir un préjudice… ». D’autres témoins sont encore plus directs. Ainsi Anatoly Kornevetsky, directeur du transporteur AvtoSAG présenté comme une victime : « La sous-traitance pour Glavpodpiska nous a permis de faire du très bon business en améliorant le chargement de nos transports ». Les témoins cités par l’accusation refusent d’endosser le rôle des victimes taillé pour eux par l’équipe du commandant Pichouline. L’accusation s’écroule.
L’accusation s’écroule mais les Navalny sont condamnés
Christian Melnik, le DAF d’Yves Rocher Vostok apporte son témoignage au nom de l’entreprise, victime principale présumée. Il affirme tout le contraire du scénario des enquêteurs : le contrat avec la société des frères Navalny a été profitable pour la marque française, aucun préjudice n’a été subi. « A la lumière des informations dont vous disposez maintenant, auriez-vous signé le même contrat avec Glavpodpiska aujourd’hui ? », demande la juge. « S’il fallait re-signer avec eux aujourd’hui, j’aurais re-signé le contrat sans hésitation », répond le dirigeant français. Serguei Averyanov et Dimitri Vaskov, responsables russes du département logistique d’Yves Rocher Vostok, se succéderont à la barre pour énumérer les bénéfices engrangés pour la marque française et déclarer l’absence de quelque préjudice : « Glavpodpiska était un très bon prestataire, très fiable ! ».
Le tribunal rejettera en bloc l’ensemble des témoignages contredisant l’accusation. Il refusera aussi de faire témoigner Bruno Leproux, l’ex-DG, présent à Moscou. Fin décembre, le jugement tombe : les frères Navalny « ont causé un préjudice exceptionnellement élevé » à la marque française, ils sont condamnés à une peine de 3,5 ans de prison ferme pour Oleg Navalny, 3,5 ans avec sursis pour Alexeï Navalny, assortis d’une période probatoire de cinq ans. La juge Korobchenko s’est contentée de recopier l’acte d’accusation pour justifier la condamnation. L’appel et la cassation confirmeront les condamnations à quelques détails près. Les tribunaux russes affichent une grande unanimité lorsqu’ils exécutent une commande politique.
Octobre 2017, la Cour européenne des droits de l’homme statue sur « le procès Navalny ». Son jugement est sans appel : les tribunaux russes ont violé l’article 6 et plusieurs autres articles de la Convention européenne des droits de l’homme. Les frères Navalny n’ont pas bénéficié d’un procès impartial, le jugement est arbitraire et infondé. La Russie est condamnée à indemniser les Navalny pour l’équivalent de 85 000 euros (env 3,9 millions de roubles au taux de change de l’époque) pour les différents préjudices subis.
En Russie la décision de la CEDH est prise comme un affront. Le Présidium de la Cour suprême russe va se réunir pour statuer. C’est la plus haute instance juridique du pays, un peu comme la Cour de cassation qui se réunit en formation plénière. Sauf que la Cour suprême russe reçoit des ordres, comme tous les juges au pays de Poutine.
Le Présidium s’exécute et indemnise les Navalny des montants décidés par la CEDH reconnaissant son jugement par la même occasion. En revanche la Cour suprême refuse d’annuler la condamnation, violant par ce refus les conventions signées par la Russie même si ce n’est pas la première fois. Oleg Navalny restera prisonnier jusqu’en juin 2018. A sa sortie il écrira un livre pour raconter sa détention.
La police politique russe fait aggraver la peine d’Alexei Navalny
Plus tard, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaitra dans un jugement séparé le caractère politique des représailles judiciaires russes contre Alexei Navalny, plusieurs « arrestations dépourvues de but légitime », des assignations à résidence injustifiées et des procès inéquitables. Il s’agit notamment du procès Yves Rocher et d’autres. En novembre 2018 la CEDH condamnera à nouveau la Russie pour ces procès qui « visaient à étouffer le pluralisme politique » à 63 000 euros de dommages au profit de l’opposant.
Entre temps la police politique a trouvé un autre angle pour persécuter Alexei Navalny. En 2017 il participe à plusieurs manifestations déclarées « illégales », comme la plupart des manifestations de l’opposition démocratique en Russie, et il écope d’une peine de 25 jours de détention. Durant la détention il ne se rend pas aux convocations du commissariat (qui le sait en prison), il viole donc son sursis. Navalny « n’a pas emprunté le chemin de la repentance », selon la formule usuelle de la justice russe. En août 2017 un tribunal saisi par le service de probation va alourdir la peine d’Alexei Navany : la période probatoire de son sursis est rallongée d’une année, elle atteint désormais six ans. Une décision qui répond aux souhaits du Kremlin et de sa police politique qui veut garder un moyen de pression sur le leader de l’opposition : la période probatoire l’empêche de se présenter aux élections.
Cette condamnation complémentaire passée quasi inaperçue, changera tout. Sans elle, la période probatoire d’Alexei Navalny airait été terminée en décembre 2019 et la confrontation actuelle n’aurait jamais eu lieu. Mais avec cette rallonge, la période probatoire court jusqu’au 30 décembre 2020. Après la tentative d’assassinat par une équipe de tueurs du FSB, Navalny reste en convalescence en Allemagne et ne peut pas se rendre aux convocations du commissariat à Moscou en décembre 2020, juste avant la fin de sa période probatoire. Cette absence aux convocations servira de prétexte pour l’emprisonner dès son retour en Russie en janvier 2021. Un nouveau tribunal sur commande commuera sa peine de trois ans et demie avec sursis issue de l’affaire Yves Rocher en une peine d’un peu moins de trois ans de prison ferme. Cette fois la commande politique a été exécutée à la lettre, l’opposant n’est pas prêt de sortir des geôles russes. Et ce malgré le fait que la condamnation originelle dans l’affaire Yves Rocher a déjà été jugée sans fondement.
La marque française piégée par le Kremlin
Pendant ce temps, Yves Rocher joue une partition compliquée et pas toujours de son plein gré. Les autorités judiciaires russes continuent de clamer que les Navalny ont été jugés et condamnés suite à la plainte de la marque française. Une affirmation qui nécessite de revenir sur les débuts de l’affaire. Dans son premier courrier, Yves Rocher Vostok disait : nous avons peut-être subi un préjudice, nous demandons de rechercher les responsables. Cette formule s’interprète comme un dépôt de plainte contre X. Mais deux mois plus tard, la filiale russe écrivait aux enquêteurs : nous n’avons probablement subi aucun préjudice, nous vous transmettons plus de 200 pages de documents à l’appui de ce constat. Pas de préjudice, pas de recherche de responsables. Yves Rocher Vostok aurait-il du écrire au Comité d’enquête « Nous vous demandons expressément de ne plus rechercher les responsables du préjudice que nous n’avons jamais subi » ? L’avocat russe qui rédigeait ce courrier, n’a pas jugé cet ajout utile. Pourtant c’est l’argument brandi par l’administration russe qui évoque « l’absence du retrait de la plainte ». Un argument qui permet de rejeter la responsabilité des représailles contre le leader de l’opposition russe… sur la marque de cosmétiques. Entendez : le leader de l’opposition démocratique est persécuté par la justice russe à la demande de la France. Prière de ne pas rire.
Cette inversion des rôles n’a pas échappé aux avocats d’Alexei Navalny. Depuis 2018 ils essaient d’engager la responsabilité de la maison mère Yves Rocher, sise à La Gacilly dans le Morbihan, qu’ils accusent d’avoir avalisé le dépôt de plainte initial, d’apporter sa caution aux accusations farfelues et de ne pas avoir fait le nécessaire pour confirmer le retrait de cette plainte plus tard. Yves Rocher a-t-il sciemment collaboré avec la répression en Russie ? Ce sera aux juges de se prononcer. William Bourdon, l’avocat de l’opposant a déposé plainte au tribunal de Vannes pour « dénonciation calomnieuse » contre l’entreprise française en 2018. Un juge d’instruction a auditionné Alexei Navalny en 2019, par la suite l’enquête a été refermée mais les avocats ont fait appel de cette décision devant le tribunal de Rennes qui pourrait statuer cette année.
L’opposant contre-attaque
Chez Yves Rocher l’accusation portée par Navalny a créé un malaise. Le groupe s’était mis sur la défensive, et pas avec les meilleurs arguments. Il expliquera en avril 2019 que « La découverte d’importants indices concordants rendant vraisemblable l’existence d’une escroquerie avait imposé à la direction de la filiale de faire appel à la justice russe en déposant plainte contre X pour avoir accès au dossier et en comprendre ainsi les enjeux ».
Ce court communiqué reflète bien l’instant du 4 décembre 2012 et le courrier signé par le DG de la filiale ce jour. Mais il fait l’impasse sur les sept années suivantes, sur les conclusions de l’audit interne, sur le retrait de la plainte, sur les témoignages de la direction et des salariés d’Yves Rocher Vostok devant les tribunaux russes etc. Tous allant dans le même sens : non, il n’y a jamais eu aucune escroquerie au préjudice de l’entreprise.
Pourquoi ce mutisme ? L’entreprise cherche-t-elle à protéger son business en Russie à tout prix ? Présente dans le pays depuis 1991, la marque française y compte aujourd’hui près de 450 boutiques dans plus de 150 villes. C’est une implantation conséquente, à titre de comparaison, la plus célèbre enseigne mondiale de restauration rapide compte 780 restaurants dans 60 villes en Russie. Yves Rocher joue dans le même registre d’omniprésence. L’entreprise réalise en Russie près de 15% de son chiffre d’affaires global, l’enjeu est de taille.
La défense brouillonne d’Yves Rocher
La position d’Yves Rocher se radicalise encore en janvier 2021 suite à l’arrestation d’Alexei Navalny, toujours dans « l’affaire Yves Rocher ». En Russie les opposants appellent au boycott du groupe français. En France son rôle dans la répression orchestrée par le Kremlin provoque l’incompréhension. L’entreprise se défend. « La société Yves Rocher Vostok n’a jamais porté plainte contre les frères Navalny, ni n’a formulé une quelconque demande en justice à leur encontre, et ce à aucun moment. Dès 2013, Yves Rocher Vostok n’est, du reste, plus intervenue à la procédure. », affirmait-elle en février 2021.
Ca commence fort. Mais c’est plutôt faux. La plainte d’Yves Rocher Vostok mentionnait bien la société Glavpodpiska qui, face à la société française, était représentée par Oleg Navalny. L’entreprise n’ignorait pas son identité, et sa plante demandait bien une enquête judiciaire.
De plus, l’intervention d’Yves Rocher ne s’est pas arrêtée en 2013 contrairement à ses affirmations. Les membres de la direction et les salariés ont bien témoigné au nom d’Yves Rocher Vostok devant le tribunal lors du procès en octobre et en novembre 2014. Est-ce que l’entreprise désavoue leurs témoignages en faveur des Navalny ? Nous l’avons demandé à Yves Rocher. Qui n’a pas su répondre à cette question.
Concernant la condamnation des Navalny sur une plainte qui n’aurait jamais été déposée et pour un préjudice qui n’aurait jamais existé, Yves Rocher se fait catégorique : « Les soupçons d’escroquerie de la part des frères Navalny à l’encontre de sociétés privées ont été confirmés par 3 jugements… ».
L’entreprise se cache derrière la décision des tribunaux russes. Mais son affirmation est fausse à plusieurs titres. Sur la forme, le jugement des tribunaux russes a été invalidé par la CEDH. Sur le fond, concernant les « soupçons d’escroquerie », Yves Rocher dispose des résultats de l’audit interne mené en 2012-2013 sous la direction de Christian Melnik et qui indique l’absence de tout préjudice. Y a-t-il eu d’autres enquêtes internes ou audits infirmant ces conclusions ? Nous l’avons demandé à Yves Rocher. La société n’a pas encore trouvé la réponse adaptée.
Aujourd’hui la Cour européenne des droits de l’homme exige de la Russie la libération immédiate d’Alexei Navalny en application de sa décision d’octobre 2017. Cette libération a peu de chances de se réaliser. Poutine considère Navalny comme un ennemi personnel qu’il faut détruire coûte que coûte. Après avoir raté son assassinat l’an dernier, le FSB pourrait revenir à la charge.
Pourtant ce n’est pas le sort d’Alexei Navalny qui préoccupe Yves Rocher aujourd’hui. Après le scandale lié à l’arrestation de l’opposant dans cette affaire dont la marque bretonne a servi d’élément déclencheur, le dossier atterrira probablement sur le bureau d’un juge français. Dans cette hypothèse, l’entreprise serait poursuivie pour « dénonciation calomnieuse » selon l’avocat des Navalny. Une qualification qu’elle aura du mal à contester avec une défense composée de semi-vérités et d’omissions, et le plaignant qui croupît dans une prison russe.
Pourtant, en condamnant l’attitude lâche d’Yves Rocher dans cette affaire, il ne faudra pas oublier la droiture de Christian Melnik, le directeur financier de la filiale russe qui a essayé de sauver la peau d’Alexei Navalny en présentant simplement la vérité au tribunal : il n’y a jamais eu d’escroquerie ni de préjudice pour son entreprise. Il ne faudra pas oublier le courage des salariés de la filiale qui ont apporté leurs témoignages à la défense de l’opposant et de son frère. Russes eux-mêmes, ils risquaient gros si jamais le FSB, aux manettes de la cabale, décidait de punir tous ceux qui ont contredit sa fable. Leurs témoignages loyaux ont pesé dans le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour faire appliquer cette décision de justice en Russie, ce sera une autre paire de manches.
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